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5 juin 2006 1 05 /06 /juin /2006 12:42

Mama Sifa, la mère de J. Kabila, parle

* «Aux côtés de Mzee, j’étais une militante. Nous étions ensemble pour combattre l’injustice, lutter contre Mobutu qui avait confisqué le pouvoir»

* «Joseph est mon enfant, au même titre que sa soeur Jaynet et les autres. Or lui, on le qualifie de « Rwandais » . Et sa sœur alors, qui est-elle ? …»

Notre consœur Colette Braeckman, du journal Le Soir, vient de réussir une exclusivité. Elle a fait parler Mama Sifa Maanya, mère de Joseph Kabila, président de la République. Mama Sifa parle de sa vie privée, d’épouse, de mère de militante révolutionnaire, et de ses enfants. Plus précisément de Joseph Kabila. «Je dois m’ abstenir de descendre à ce niveau-là : tout ce que je peux dire, c’est qu’ il est bien mon fils. Il n’est pas question pour moi de passer à la télévision, de sortir de ma discrétion… », a-t-elle déclaré en réponse à une question sur tout ce que l’ on dit sur Joseph Kabila. Mama Sifa, mère de J. Kabila, épouse de Laurent-Désiré Kabila, parle pour la première fois.

Madame Sifa Maanya n’est pas une femme publique. Discrète, pudique mais pas effacée, elle ne reçoit jamais les journalistes, sauf lorsqu’il est question de ses activités sociales au sein de la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila. Exceptionnellement, peut-être parce qu’elle savait que nous avions naguère rencontré Mzee (le sage en swahili, surnom donné au défunt président) à plusieurs reprises, alors qu’il traversait l’Europe dans la plus grande discrétion, elle a accepté un entretien, qui s’est déroulé dans un vaste bureau de la Gombe. Un lieu fonctionnel mais dépouillé. Peu de meubles, pas de tableaux, de tapis, pas de signes extérieurs de richesse. Madame Sifa, vêtue avec soin mais sans ostentation, est restée elle-même et avant d’entamer la conversation, elle nous convie à prier ensemble et demande à Dieu de nous bénir.

D’emblée, cette femme originaire de Kabambare au Maniema, tient à rappeler qui elle est : « aux côtés de Mzee, j’étais une militante. Nous étions ensemble pour combattre l’injustice, nous voulions lutter contre Mobutu qui avait confisqué le pouvoir ».

Dès l’assassinat de Lumumba, en 1961, Laurent-Désiré Kabila se lance dans la lutte politique, mais c’est après la prise de pouvoir de Mobutu, en 1965, qu’il a créé un maquis près du lac Tanganyika : « Nous avons commencé la lutte dans la région de Fizi, où nous avions installé notre état-major. Mais nous avons souvent dû nous déplacer dans les montagnes, obligés de fuir les attaques des forces de Mobutu. Nous avons ainsi fondé Hewa Bora 1, Hewa Bora 2, Makanga. C’est à Kasingere, près de Makanga, que nous avons fondé notre parti, le PRP (Parti de la révolution populaire) En dernier lieu, nous nous sommes fixés à Wimbi, qui fut notre dernier camp dans le maquis. »

Madame Sifa se refuse à qualifier de difficile la vie dans le maquis : «Nous nous suffisions à nous-mêmes et vivions dans une parfaite égalité. Grâce à l’agriculture, nous avions assez à manger, nous vivions aussi des produits de la pêche, de l’élevage. C’est vrai, nous manquions souvent de sel et d’huile et comme les médicaments devaient provenir de Tanzanie, nous préférions recourir aux remèdes traditionnels. Mais notre population était sensibilisée, et elle ne se plaignait pas». Déjà engagée lorsqu’elle rencontre le leader du PRP, Sifa, par la suite devient cadre du Parti de la révolution populaire créé par Kabila et elle s’occupe de la formation politique, en particulier des femmes.

«Nous avions des réunions avec les gens de notre classe, et nous leur expliquions pourquoi il fallait combattre cette dictature qui écrasait les paysans. Dans le maquis, nous pratiquions l’éducation permanente, chacun devait suivre des cours de formation politique, mais aussi apprendre à lire et écrire. Les sessions politiques proprement dites se donnaient en sept jours, puis ceux qui avaient été formés étaient envoyés dans d’autres villages pour enseigner à leur tour ».

Si elle ne se plaint pas de conditions matérielles, Sifa se rappelle cependant que « Il n’y avait évidemment pas d’électricité dans le maquis, mais pas de bougies et d’allumettes non plus : pour faire du feu, nous devions frotter des pierres pour faire jaillir l’étincelle… ». Les vêtements aussi étaient rares : elle avait un seul pagne, peut-être deux, mais la plupart du temps, les gens portaient des vêtements faits de raphia et d’écorces.

C’est dans ce maquis égalitaire mais très pauvre que sont nés, en 1971, ses premiers enfants, les jumeaux, Jaynet et Joseph. La première, suivant la tradition des Luba du Katanga fut appelée Kyungu, le second porta le nom de Kabange, ce qui veut dire le deuxième. Virent ensuite d’autres naissances, dont Sifa murmure la liste, Joséphine, Zoé, Masengo… « C’est dans le maquis que la famille s’est constituée, et les enfants, dès l’âge de 3 ans, fréquentaient l’école que nous avions créée. Ils étudièrent dans le maquis durant cinq ans. »

Après 1975, tout le monde fut forcé d’aller vivre à Wimbi, au bord du lac Tanganyika, car les attaques des troupes de Mobutu étaient incessantes, « ils nous bombardaient, nous pourchassaient dans les montagnes, nous ne pouvions plus résister ». A Wimbi comme dans la montagne, Sifa poursuit ses activités militantes : « j’ étais secrétaire adjointe de l’Organisation des femmes révolutionnaires du Congo, OFRC, qui fut créée en même temps que le PRP. C’était une branche du parti, une organisation qui s’occupait de l’encadrement des femmes et servait de soutien aux forces combattantes. A Wimbi, de nombreux enfants étaient sans famille, à la suite de la guerre, des maladies et d’autres causes encore. C’est alors que Mzee a créé le « comité populaire des œuvres sociales » chargé de s’occuper de ces enfants et je devins la gérante principale de ce centre. Mais son existence n’a pas duré longtemps, car nous avons été dispersés par les forces de Mobutu. » Alors que d’autres combattants de l’époque rappellent que les forces mobutistes brûlaient systématiquement les récoltes afin d’affamer le maquisis, Mme Sifa confirme : «nous avons été forcés de manger de l’herbe, des plantes sauvages, nous étions dans une situation que vous ne pouvez même pas imaginer… »

Dans les années 77-78, Mzee prend la décision de quitter Wimbi, et d’évacuer sa famille vers Kigoma en Tanzanie. Les jumeaux Joseph et Jaynet partent les premiers, car ils doivent poursuivre les études et la maman suivra quelque temps plus tard: « nous avons traversé le lac, car rester au Congo était vraiment trop dangereux… » Viendra ensuite le tour de Laurent-Désiré Kabila lui-même, accompagné de quelques fidèles. Il est obligé de se replier, car de nombreux militants ont trahi et quitté le maquis où il ne peut rester seul.

Dans le pays du président Nyerere, la famille Kabila est accueillie, protégée, par Kazadi Nyembwe, un compagnon de lutte de Mzee, qui est lié par alliance au secrétaire général du parti du président Nyerere. Sifa insiste avec reconnaissance: « il nous a protégés, cachés, car même là, la police de Mobutu nous recherchait pour nous éliminer. Si la vie dans le maquis pouvait paraître difficile, en Tanzanie, c’était bien pire. Là, nous n’avions rien, alors que dans le maquis on s’entraidait, on vivait dans une certaine égalité. Il faut dire aussi que si nous sommes partis, c’est aussi parce que tout le monde nous avait trahis, car Mobutu avait corrompu, soudoyé. Les derniers qui restaient subissaient les bombes, les embuscades, tout était mis en œuvre pour les coincer, les capturer. Notre séjour en Tanzanie, nous l’appelions un repli stratégique, car nous avions bien l’intention de revenir un jour dans notre pays, le Congo. »

C’est pour cela d’ailleurs que, malgré les difficultés financières, Laurent-Désiré avait tenu à inscrire Jaynet et Joseph à l’école française de Dar es-Salaam, afin qu’ils apprennent le français pour le jour où ils rentreraient au pays. Un ancien ambassadeur de Mobutu à Dar es-Salaam se souvient des moyens considérables dont il disposait à l’époque, chargé qu’il était de traquer Kabila et les siens, qui se dissimulaient sous des noms d’emprunt.

Comment la famille subvenait elle à ses besoins ? Madame Sifa ouvre ses mains, elle les regarde, pensive : « mais je travaillais, je cultivais un petit champ, un shamba, et je vendais mes légumes au marché, comme toutes les femmes pauvres en Afrique. Plus tard, j’ai tenu une petite échoppe, c’est ce qui me permettait de payer les études des enfants. Mzee y tenait beaucoup, mais il ne s’entretenait pas de politique avec sa famille. Cette éducation-là, moi je m’en chargeais. J’expliquais aux enfants pourquoi nous avions décidé de quitter le maquis pour venir en Tanzanie, pourquoi nous refusions de nous considérer comme des réfugiés, car nous étions avant tout des révolutionnaires ».

Malgré la sympathie du président Nyerere et la protection de Kazadi, la Tanzanie reste dangereuse : « Mobutu a tout essayé pour nous éliminer : le poison, les femmes, les embuscades, l’argent… »

Mme Sifa dément les histoires selon lesquelles Mzee aurait été un père et un mari absent, multipliant les voyages en Europe et dans le monde : « il n’a quitté le maquis que deux fois, et c’était pour demander de l’aide aux amis en Europe, car nous manquions de tout… « Les années ont passé, mais elle se souvient encore du soutien qui fut apporté par Pierre Galand, alors secrétaire général d’Oxfam-Belgique, et du fait que Philippe Borel, alors membre du Comité Zaïre, fut le seul à visiter ce maquis dont Mobutu niait l’existence.

A propos de la Tanzanie, Sifa évoque les réactions de fierté de son mari : « il refusait que l’on nous assiste comme des nécessiteux, que l’on nous considère comme des réfugiés. Il répétait que nous étions des révolutionnaires… D’ailleurs à un moment donné il a dit « stop », et décidé de refuser toute l’aide qu’on pouvait nous proposer. Il déclarait que désormais nous allions nous prendre en charge… »

C’est à ce moment qu’elle a commencé à cultiver et à vendre sa petite production. Sifa s’insurge contre la légende qui assure que son mari se serait livré à des trafics divers, d’or entre autres : « C’est tout à fait faux. Il n’était intéressé que par la politique, la lutte révolutionnaire. C’est moi qui entretenait la famille avec mon travail… »

Après avoir terminé les études secondaires à Dar es-Salaam et fait, comme tout le monde en Tanzanie, une année de service militaire obligatoire, les jumeaux sont envoyés à l’Université de Makerere en Ouganda. Philippe Borel, le vieil ami, veille sur eux de loin, car la sécurité n’est pas assurée et les services de Mobutu rodent toujours. Jaynet s’inscrit en journalisme, Joseph à la Faculté de droit.

La maman se souvient des dispositions de Joseph « tout petit, il avait déjà un tempérament de chef, il rêvait d’être militaire, de diriger une armée ». En souriant, elle évoque le gamin qui alignait de petites voitures pour en faire un convoi militaire, tout en précisant que le père n’était pas favorable à ce que Joseph se lance dans la carrière des armes. Les études de droit ne dureront pas longtemps, car Joseph seconde bientôt son père qui dresse des plans pour reprendre la lutte dans son pays. Alors que tout le monde raconte que la première guerre du Congo a été décidée par les présidents Museveni et Kagame, qui sont allés chercher Laurent-Désiré Kabila lorsqu’il ne s’agissait plus que de donner un visage congolais à cette intervention étrangère, Sifa dément : « dès le début des années 90, les préparatifs avaient commencé, pour s’intensifier en 1994. C’est en 1995 que Joseph a rejoint son père pour préparer la guerre. Tout naturellement il était à ses côtés lorsque les opérations ont commencé en 1996. En Ouganda, Mzee travaillait avec d’autres compagnons, comme Kisasse Ngandu. Mais il nous fallait être très prudents, car le terrain était miné…

Nous avions réfléchi et tiré les leçons des erreurs commises au début, résumées dans un petit fascicule, consacré aux sept erreurs de la révolution…On n’est pas allé chercher Mzee, il était là : c’est depuis la mort de Lumumba que nous combattions la dictature. Ce fut une longue lutte… »

Le 17 mai 97, Sifa se trouve encore en Tanzanie avec les plus jeunes des enfants, lorsque Mobutu fuit le pays et que les troupes rebelles entrent dans Kinshasa. C’est un mois plus tard qu’elle arrive dans la capitale, en toute discrétion : « Mzee ne voulait pas que l’on évoque sa vie privée… ». Elle confirme que lors de la première guerre, en 96-97, Joseph se trouvait aux côtés de James Kabarebe, le général rwandais qui dirigeait les opérations militaires.

Joseph tenait-il son père informé de ce qui se passait sur le front ? « Sans doute, je le suppose, mais ce que je sais c’est que le Mzee avait été très fâché d’apprendre les atrocités, les massacres commis par ses alliés : nous, notre lutte ce n’était pas ça, notre conception de la libération, ce n’était pas la vengeance… ».

QUELLES VALEURS AVEZ-VOUS ENSEIGNE A VOS ENFANTS ?

Ici Maman Sifa réfléchit longuement, croise les mains puis parle d’une traite, sans s’interrompre : « nous leur avons appris l’amour de la patrie, le respect de la famille. Nous avons essayé de leur donner un code de bonne conduite, et aussi des leçons de modestie, d’humilité. De leur apprendre à vivre en paix avec leur prochain.

Dès le début de notre lutte, nous avons essayé de transmettre à nos enfants notre vision du monde, nous avons voulu les façonner afin qu’ils combattent l’injustice. Moi en tous cas, je suis restée fidèle à cet idéal révolutionnaire dans lequel j’ai essayé d’éduquer mes enfants…Je sais que son père a transmis à Joseph l’amour de sa patrie, sa volonté d’unifier, de pacifier le pays.. »

Lorsque nous lui demandons si Mzee serait fier de son fils, la sérénité de Maman Sifa se brise : pour elle, cette fierté est évidente, car « Joseph, à sa manière et avec ses méthodes à lui, a tenté de poursuivre l’œuvre de son père » Lorsque nous l’interrogeons sur les qualités de Joseph, Sifa a l’éloquence d’une mère aimante : « il a toujours eu une grande force de caractère, il réfléchit avant d’agir, il n’a jamais été un enfant turbulent… Au contraire, il a toujours été calme, il ne parlait pas beaucoup, il était facile, patient. S’il était fâché, il ne le montrait pas. Il faut dire que moi aussi je lui ai enseigné comment être poli, jamais insolent : c’est cela notre culture… »

Sifa, mère et épouse, exhale cependant quelque amertume : « ah les Congolais… Quand je pense que Mzee leur a sacrifié sa vie, et qu’ils l’ont tué… Chaque fois que je repense à sa mort, mon cœur redevient tout rouge… Nous avons lutté ensemble pendant quarante ans, il a essayé de libérer ce pays du mobutisme et à la fin, ils l’ont assassiné…» .

Maman Sifa ne nie pas la souffrance qu’ elle éprouve au vu des mensonges, des calomnies qui visent son fils : « il est mon enfant, au même titre que sa sœur Jaynet et les autres, or lui, on le qualifie de « Rwandais ».

Et sa jumelle alors, qui est-elle ? Tout cela est douloureux, mais je dois m’abstenir de répliquer, je ne peux pas descendre à ce niveau-là : tout ce que je peux dire, c’est qu’il est bien mon fils…Il n’est pas question pour moi de passer à la télévision, de sortir de ma discrétion…

De toute façon, j’ai des activités sociales dans la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila que je dirige avec ma fille Jaynet. Je m’occupe de l’encadrement des femmes, des veuves et des orphelins. Nous nous occupons de l’agriculture, pour combattre la faim. C’est dans ce cadre qu’au marché de la Liberté (ndlr. construit sur la route de l’aéroport de N Djili) nous avons créé une mini-minoterie qui produit de la farine à partir du maïs que nous avons cultivé dans nos champs et qui aide aussi la population qui apporte son maïs. »

A la veille du mariage de Joseph, Maman Sifa se réjouit, tout en souhaitant « une fête modeste, en famille, suivant la tradition… «A tout moment le souvenir du défunt lui revient en mémoire: « il était parti au maquis à 1’âge de 19 ans, et a été assassiné alors qu’il en avait 59. A ce pays il a sacrifié 40 ans de sa vie, sa famille, sa jeunesse. Moi, j’ai vécu avec lui pendant 32 ans, il m’avait choisie, nous avons eu nos enfants, je me suis consacrée à eux et à la lutte. Que veulent-ils savoir d’autre ? Comment peuvent-ils dire que je suis venue du Rwanda ? Et pourquoi visent-ils aujourd’hui Joseph ? »

Maman Sifa refuse d’évoquer les menaces qui pèsent toujours sur son fils, les attentats qui ont déjà été déjoués. Se prenant la tête dans les mains, elle conclut: « il est entre les mains du Seigneur. Je prie Dieu de le protéger, de le laisser accomplir son destin… ».

PROPOS RECUEILLIS A KINSHASA PAR COLETTE BRAECKMAN

Ndlr : Le titre et les inter-titres sont de la Rédaction

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