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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 18:32

Le pouvoir fort de Mobutu fut l’œuvre des universitaires !

Le secret de la force du pouvoir aujourd’hui honni de Mobutu est désormais connu : ce sont des universitaires qui en furent les maîtres d’œuvre, même s’ils ont essayé de se repentir par la suite pour s’opposer à celui dont ils ont contribué à consolider la tyrannie et la dictature
Kinshasa , 20.05.2006 | Politics
Mobutu passera à la postérité pour sa performance d’avoir instauré un régime politique très musclé, brutal. L’intolérance collective, est largement établie devant l’Eternel et auprès du tribunal de l’histoire. Mais, dans ce procès politico-historique, le devoir d’honnêteté exige d’étendre le champ d’investigation vers le rôle capital et déterminant joué par l’élite universitaire dans le processus formatif de la dictature de « l’homme du 24 novembre ».

Dans sa mégalomanie, Mobutu, qui avait un sens inouï et instinctif de la politique des coulisses, va se donner les moyens humains et intellectuels de son ambition en investissant dans la jeune élite universitaire. C’est elle qui fera le lit et préparera le terrain philosophico-idéologique du pouvoir fort de Mobutu. Cette responsabilité des têtes pensantes mérite d’être évoquée et soulignée, spécialement à l’étape du début, en ce jour anniversaire de la création du Mpr qui deviendra plus tard parti-Etat.

Collège des Commissaires Généraux

Le premier flirt de Mobutu avec les universitaires remonte à juin 1958. A l’occasion de l’exposition universelle, Mobutu qui venait de terminer son service militaire, et qui prestait comme journaliste aux « Actualités africaines » voyage pour la première fois en Belgique. Il rencontre beaucoup de monde. Mais, il est beaucoup marqué par les rares étudiants universitaires congolais de Louvain et de Bruxelles. Ils sont très jeunes, comme lui, mais dotés d’un savoir qu’il n’a pas, et qu’il envie. Il s’agit notamment de Jonas Mukamba, Mario Cardoso, Paul Mushiete, Charles Bokanga, Albert Bolela, Marcel Lihau, Thomas Kanza.

Lorsque, au mois de septembre 1960, le président Kasa-Vubu et son Premier ministre Lumumba se révoquent mutuellement, le colonel Mobutu les « neutralise » le 14 septembre en même temps que le Parlement. Dans une conférence de presse à l’hôtel Regina il révèle que « dès demain, je vais lancer un appel à tous nos étudiants, à tous nos techniciens congolais, qu’ils soient en Europe ou ailleurs. C’est à eux que je confie la gestion du pays. L’armée, elle, est responsable de la sécurité et de l’intégrité de la République ». Le même soir, il télégraphe à Louvain et à Bruxelles pour prier les universitaires à rentrer au pays pour y former un gouvernement « faisant-fonction » : le Collège des commissaires généraux. Le lendemain, il reçoit en ses bureaux du Quartier-général de l’armée, au 4ème niveau de l’actuel Building Onatra, des étudiants de l’Université Lovanium (actuelle Unikin), entre autres, Henri Takizala, Etienne Tshisekedi… Ces jeunes universitaires vont diriger le pays jusqu’en février 1961 où ils seront remplacés par le gouvernement Ileo.

Le président du Collège des commissaires généraux et leur aîné, justin-Marie Bomboko, était en même temps commissaire général aux Affaires étrangères et au commerce extérieur. A la Défense nationale, il y avait Ferdinand Kazadi, le futur bourreau de Lumumba dans l’avion vers Elisabethville (Lubumbashi) ; Marcel Lihau était à la Justice, avec pour adjoint Etienne Tshisekedi ; Nussbaumer à l’Intérieur ; Albert Ndele aux Finances ; Mbeka aux Affaires économiques ; Kashemwa aux Transports ; Lebughe à l’Agriculture ; Marcel Tshibamba à la Santé ; Charles Bokonga au Travail avec trois adjoints André Boboliko, Albert Mpase et Jonas Mulamba ; Henri Takizala était adjoint aux Transports.

Le colonel Mobutu ne va pas prendre le pouvoir direct lors de ce premier coup d’Etat. Mais, il va se constituer un vivier politique, avec ces jeunes universitaires, qui deviendront, avec d’autres, des proches collaborateurs après le 2ème coup d’Etat du 24 novembre 1965.

UGEC

Le nouveau régime va s’appuyer davantage sur les élites universitaires, notamment sur les anciens commissaires généraux et sur les jeunes universitaires, soit encore aux études soit fraîchement sortis des études. Dès décembre 1965, de bons rapports s’instaurent entre le lieutenant-général Joseph-Désire Mobutu et les étudiants. La puissante Union générale des étudiants congolais (Ugec) lui réserve un triomphe délirant lors de sa première visite officielle sur le campus de l’Université Lovanium le 14 décembre 1965. Le président de l’Ugec, N’Kanza-Dolumingu lui demandera à cette occasion de faire appel à l’élite universitaire « et vous verrez ce dont elle est capable ».

Le deuxième Congrès de l’Ugec, tenu peu des jours après cette rencontre de Lovanium, il influencera énormément les orientations du nouveau pouvoir. Parmi les décisions et recommandations de ce forum il y avait : la proclamation de Lumumba comme héros national, l’érection d’un monument en sa mémoire (actuel échangeur de Limete), la décentralisation des administrations provinciales, l’instauration du régime présidentiel, l’élection du président au suffrage universel, l’instauration d’une chambre unique, la reconnaissance du droit de vote aux femmes et du droit de vote à partir de 18 ans au lieu de 21 ans. Le 3ème Congrès de l’Ugec en octobre 1966 se prononce pour un parti unique qui présenterait le président de la République aux élections, la création d’une milice populaire.

Toutes ces résolutions furent le prélude au Mpr, à la Jmpr, à la Constitution du 24 juin 1967, à toute la structure politique du régime Mobutu. Même le futur drapeau vert avec une main tenant une flamme fut celui de l’Ugec, devenu d’abord celui du Mpr, ensuite celui du pays.

Le 20 janvier 1967, l’Agel (Association concurrente de l’Ugec à Lovanium) va organiser une marche imposante des étudiants à travers les principales artères de la ville de Kinshasa. D’après le communiqué de presse, cette manifestation est commandée par « la satisfaction que les universitaires ressentent par suite aux décisions prises récemment par le chef de l’Etat à l’endroit de l’Union Minière du Haut-Katanga (actuelle Gecamines) et devant l’élévation au rang de Héros national de P. Lumumba ». Le président de l’Agel, Mathias Nzanda-Bwana, s’exprimant dans le journal « Le Courrier d’Afrique » du 22 janvier, va préciser que « cette marche entre dans le cadre de l’appui que la jeunesse révolutionnaire et bien pesante apporte à notre dynamique Président de la République dans la lutte qu’il a engagée contre les gangsters de la défunte Union Minière du Haut-Katanga et leurs alliés ».

A l’occasion du treizième anniversaire de l’Université Lovanium, l’Agel va concevoir et lancer sous le haut patronage du Président Mobutu et du ministre de l’Intérieur Etienne Tshisekedi, l’opération « Retroussons les manches ». Cette dernière sera reprise et amplifiée par le pouvoir de Mobutu sous l’étiquette de « travaux de Salongo ». Dans une interview à l’Acp du 2 décembre 1967, le Président Mobutu se félicitait « de l’empressement avec lequel les étudiants ont répondu à la réquisition gouvernementale en vue de parer à la carence des professeurs après le départ des Belges ».

L’embellie entre Mobutu et les étudiants va se briser dès le début de 1968 suite aux manifestations de l’Ugec-Lovanium. Le régime frappe et arrête quelques étudiants. Ce bras de fer culminera avec la boucherie du 4 juin 1969 où des dizaines d’étudiants sont abattus sur le campus, vers Yolo, à la Gare centrale, à la Poste, vers le Rond-Point Victoire. Les étudiants venaient de vérifier l’adage qui enseigne que « si vous mangez avec le diable, il faut avoir des fourchettes très longues ».

Ministres Technocrates

Selon les Dossiers du Crisp « Congo 1967 », sous les signatures de J. Gerard-Libois, B. Verhaegen, J. Vansina et H. Weis, l’on apprend que « les remaniements ministériels effectués depuis le 24 novembre 1965 et les ordonnances créant successivement le secrétariat général à la Présidence et le bureau de la Présidence de la République, viennent à point nommé confirmer l’opinion selon laquelle l’action du général Mobutu est fondé sur la collaboration avec les universitaires... En deux ans de pouvoir, le régime du Général Mobutu a opéré quatre remaniements ministériels, dont l’aboutissement marque la tendance à une forme de gouvernement qualifié de technocratique ».

A part le « Groupe de Binza » représenté par Mobutu lui-même, Bomboko et Nendaka, l’essentiel des ministres venait du monde des universitaires : ceux des commissaires généraux de 1960 et des jeunes turcs. La tendance avait commencé le 29 octobre 1966 avec l’entrée au gouvernement de l’épouse du professeur Marcel Lihau, Mme Sophie Lihau-Kanza. Cette brillante et jeune universitaire prenait le ministère des Affaires sociales en remplacement d’un politicien Mulelemu. « Le remaniement du 17 décembre 1966 reflète ainsi cette tendance à privilégier les ministres-techniciens identifiés aux détenteurs d’un diplôme universitaire ou équivalent, par rapport aux ministres-politiciens représentant les anciens parlementaires. Parlant du remaniement opéré le 17 décembre 1966, l’Acp va constater qu’il « consacrait le départ du gouvernement, de nombreux poids morts qui, visiblement, torpillaient par leur manque d’initiative, l’œuvre grandiose du général Mobutu ».

Mais, c’est surtout avec le remaniement du 5 octobre que la formule des ministres-techniciens se renforcera davantage pour consacrer la primauté du souci d’efficacité sur la représentation provinciale. Le journal Courrier d’Afrique du 6 octobre 1967, parlant d’un « gouvernement technocratique » au regard du nombre important d’universitaires et des diplômés de grandes écoles, trouvait que « même s’il est maintenu, ce principe cède le pas au critère de la compétence technique le plus souvent rattaché dans le chef des universitaires ». Dans ce gouvernement, il y aura trois anciens commissaires généraux ; Justin-Marie Bomboko aux Affaires étrangères et Commerce extérieur, Paul Mushiete aux Finances, Budget et Portefeuille, Etienne Tshisekedi à l’Intérieur et Affaires coutumières. La grande majorité était des jeunes universitaires fraîchement sortis des universités ou Grandes Ecoles, tels Joseph Nsinga à la Justice et Garde des sceaux ; Faustin Nzeza à l’Economie nationale et Industrie ; Sophie Lihau-Kanza aux Affaires sociales et Développement communautaire ; Odilon Tshiamu à la Santé publique ; Alphonse Zamundu aux Travaux publics ; André Tshibangu aux Postes et Télécommunications ; Ferdinand Timba aux Terres-Mines et Energie ; Victor Ndjoli au Tourisme et Culture ; Jean Umba-di-Lutete comme vice-ministre aux Affaires Etrangères et Commerce extérieur…

Pouvoir fort

Corrélativement à cette collaboration intense avec des jeunes universitaires, Mobutu mettait sur pied un véritable régime de dictature. Selon Jean Kestergat dans « Du Congo de Lumumnba au Zaïre de Mobutu » : Dès ses premières déclarations après le coup d’Etat du 24 novembre 65, Mobutu a été fort net : son régime sera un régime fort ». Dans la toute première ordonnance-loi qu’il signe le 30 novembre 1965, il s’octroie les pouvoirs spéciaux de prendre par ordonnances-lois, des mesures qui sont du domaine de la loi. Tout en se référant à la Constitution de Luluabourg de 1964, il la violait car il ne s’agissait ni de la procédure de délégation du pouvoir ni de l’habilitation prévue par l’art. 95.

Toutefois, il s’engageait à soumettre ces ordonnances-lois au Parlement dans les deux mois pour approbation. Très vite, il prend une nouvelle ordonnance-loi le 7 mars 1966 pour supprimer cette obligation de les soumettre au Parlement dans les deux mois.

Le 12 décembre 1965, il interdit pour cinq ans l’activité des partis politiques en parlant de « pembenisation ». Il réduit la rémunération des députés, et suspend le droit de grève. L’ordonnance loi du 22 mai 1966, lui accordant le les pleins pouvoirs, en transférant le pouvoir législatif à l’exécutif. Mobutu devenait législateur ordinaire.

Pour frapper l’opinion publique et créer la peur, Mobutu organise le 2 juin 1966 la pendaison publique au pont-Cabu (pont Kasa-Vubu). Les victimes sont Evariste Kimba (ancien ministre des Affaires étrangères du Katanga sécessionniste, et ancien formateur du dernier gouvernement avant le coup d’Etat du 24 novembre 1965), Alexandre Mahamba (ancien ministre des Affaires foncières dans les gouvernements Lumumba et Adoula), Jérôme Anany (ancien ministre de la Défense nationale du gouvernement Adoula), Emmanuel Bamba (ancien ministre des Finances du gouvernement Adoula et dirigeant de l’église Kimbanguiste). Le complot dit de la pentecôte, inspiré par Mobutu lui-même, avait été réalisé par les généraux Bangala et Efomi pour pousser les politiciens visés à dévoiler leurs ambitions et ainsi les punir d’une manière exemplaire.

Par ordonnance du 26 octobre 1966, Mobutu supprime le bicéphalisme de l’exécutif en supprimant le poste de 1er ministre. Le général Léonard Mulamba est envoyé ambassadeur au Japon : Mobutu reste le seul chef de l’exécutif, avec ses jeunes universitaires. Le 20 mai 1967, il crée le Mpr comme creuset institutionnel de la dictature. Mobutu et son ami Tshisekedi mettaient au point leur machine politique le 20 mai 1967

Né des cendres du Corps des volontaires pour la révolution (Cvr) dirigé par Kabaïdi wa Kabaïdi, le Mpr vit le jour le 20 mai 1967. A l’époque, MM. Joseph-Désiré Mobutu et Etienne Tshisekedi passaient, dans l’opinion, pour les meilleurs amis au monde.

Ils arboraient tous deux des costumes dits trois pièces, avec une tauque de léopard sur la tête et une canne à la main. C’est à croire qu’ils étaient nés jumeaux et que l’un d’eux avait disparu à l’hôpital et qu’ils ne se sont remis ensemble qu’à l’âge adulte. Là, on est bien-sûr loin de s’imaginer que les « frères » allaient se séparer un jour. A en croire quelqu’un qui a partagé leur vie, Mobutu n’avait jamais eu de meilleur ami que Tshisekedi et vice versa. Le Mpr, selon plusieurs témoignages, était leur oeuvre commune. Le leader de l’Udps passait pour la deuxième personnalité du régime en termes de rapports personnels avec le Chef de l’Etat. Leurs dissensions remontent aux années 1980 et non lors de la création du Mpr. A cette époque, Tshisekedi n’avait pas encore quitté sa maison vitrée située sur le boulevard du 30 juin dont la construction, curieusement, se rapproche de celle de la maison de Joseph-Désiré Mobutu au camp Tshatshi.

C’est seulement vers 1980 que les deux frères ont cessé de convoler en justes noces. Sans nul doute qu’un élément extérieur a fini par brouiller leur diapason. Mais, le Mpr demeurait bel et bien leur machine politique. Si donc MobijtU et Tshisekedi constituaient un couple hétérogène comme dans un foyer conjugal, ils auraient divorcé autant de fois qu’ils se seraient remariés. Car, ils avaient une manière particulière de partager leur amour. Même s’ils se sont brouillés pour de vrai avec la création de l’Udps, le seul parti politique ayant sérieusement donné du fil à retordre au Mpr parti-Etat durant la deuxième République. Même alors, durant la transition mobutienne, Tshisekedi et Mobutu n’ont jamais cessé de s’aimer mutuellement à travers une bipolarisation plus dictée par le partage de la scène politique en deux pôles animés par les deux « amis ».

Dès lors, tout celui qui essayait de supplanter Tshisekedi ou de le contourner était frappé d’anathème. La haute politique a ses pionniers !

(Yes)


Tshilombo Munyengayi | Le Potentiel
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