Le Confident (LC) : Monsieur Martin Ziguele, quel bilan faites-vous de la 1ère année de règne du président François Bozize depuis sa dernière élection ?
Martin Ziguele (MZ) Je vous remercie pour l'opportunité que vous m'offrez, une fis de plus, de m'adresser à nos compatriotes, et à tous ceux qui s'intéressent à notre pays, au travers de votre publication.
Le 11 juin 2006 est en effet le premier anniversaire du mandat du Président François BOZIZE, et vous vous souviendrez que j'étais présent à son investiture. Ce jour-là, devant le peuple et la nation, et devant quatre de ses pairs d'Afrique centrale, il a pris des engagements s'articulant autour de trois axes principaux : la relance de notre économie, la sécurité partout et pour tous et enfin la promotion des droits humains.
Aujourd'hui, un an plus tard, force est de constater qu'aucun de ces engagements n'est suivi d'effets tangibles. Cette première année du mandat de François BOZIZE est encore une année perdue pour la RCA, où la situation semble plutôt s'empirer sur ces trois plans de son discours d'investiture:
L'économie centrafricaine n'existe que de nom, et l'illusion entretenue autour d'un paiement plus régulier des salaires est faite au prix d'un endettement sans précédent auprès de la BEAC et du système bancaire national, rétrécissant de ce fait les possibilités de crédit à l'économie nationale. L'agriculture et l'élevage qui sont les deux « mamelles » du pays et dont vivent plus de 80% de notre population, sont des secteurs véritablement sinistrés, malgré les promesses électorales et post-électorales : le secteur du coton est à l'agonie, sans perspective à moyen terme de redressement, et nous arriverons certainement à une production de moins de 5000 tonnes de coton l'an prochain. La société française DAGRIS -ex CFDT- a refusé de venir en RCA pour reprendre les activités des défuntes SOCADETEX et SOCOCA mais le gouvernement n'a pas le courage de le dire au peuple, préférant continuer à entretenir le mensonge sur ce sujet, sans compter que les cotonculteurs attendent toujours leurs arriérés promis à cor et à cri par BOZIZE lors de la campagne électorale. Le secteur du café est dans une situation plus grave, rien de concret n'ayant été fait pour l'encadrement et la commercialisation du café de manière profitable aux caféiculteurs. En plus , avec la fermeture de la frontière avec le Soudan, nos caféiculteurs, surtout ceux de l'est du pays, se voient privés de leurs seuls débouchés.
Quant à l'élevage, tout le monde sait que la quasi-totalité de nos éleveurs sont partis dans les pays voisins avec leurs troupeaux du fait de l'insécurité.
Les routes en RCA sont dans un état qui s'aggrave, et BOZIZE qui avait promis de bitumer 100 Kms de route par an s'il était élu, est pris en flagrant délit de mensonge parce que nous sommes bien au premier anniversaire de son mandat et aucun kilomètre de route n'a été bitumé en République centrafricaine. Nous pouvons dire la même chose des écoles, des dispensaires, de l'eau et de l'électricité qui ont été promis partout.
Dans le domaine des mines, le gouvernement qui n'a pas peur du ridicule, présente comme un haut fait d'armes le retrait des permis miniers à des vrais « truands » à qui il les avait lui-même accordés dans des conditions opaques. A quand l'attribution des permis miniers et forestiers par appel d'offres international ouvert, seule condition de l'assainissement de ces deux secteurs comme je l'avais souligné pendant la campagne ?
La vérité, dont beaucoup d'observateurs avisés commencent à s'en rendre compte est que ce régime, et son principal animateur, François BOZIZE, n'ont aucune volonté politique de lutter contre les nombreux nœuds gordiens de notre économie, ni encore moins une vision d'ensemble du devenir de la RCA . Ils rechignent à engager des actions structurelles drastiques pour rompre définitivement avec ce cycle de paupérisation continue de notre pays. Comme toute politique, François BOZIZE et son régime fondent tous leurs espoirs sur une assistance financière extérieure permanente, alors que bien que rien de sérieux et de durable n'a été fait avec la manne extérieure dont ils ont bénéficié depuis le 15 mars 2003.
Il ne faut surtout pas oublier que ce régime a bénéficié de plus d'appuis budgétaires extérieures en 3 ans que tous les régimes précédents réunis, et cela sans résultat probant sur la vie quotidienne des centrafricains.
S'agissant de la sécurité, peut-on vraiment affirmer aujourd'hui, sans être ridicule, que la RCA est un pays où règne la sécurité ? Ceux qui affirmaient hier que François BOZIZE , en sa qualité de militaire, était le mieux placé pour ramener la sécurité, doivent réviser leurs arguments parce que depuis l'indépendance en 1960, l'Etat centrafricain n' a jamais été aussi déliquescent et peu sûr. Le discours du pouvoir sur la sécurité du pays est lui-même source d'insécurité, car personne ne sait réellement ce qui se passe mais tout le monde sait que le pays n'est pas en paix.
Pour ce qui concerne le respect des droits de l'homme, il suffit de lire les communiqués des organisations centrafricaines et internationales de défense de droits de l'homme pour se rendre compte que nous sommes très loin d'un Etat de droit en RCA. Vous devez certainement avoir en mémoire le discours de François BOZIZE le 15 Mars 2006 à Mbaïki, où ce néo-démocrate qui fêtait néanmoins le troisième anniversaire de son coup d'Etat ( !) s'en est violemment pris en sango aux défenseurs des droits de l'homme: je pense que ce discours suffit pour savoir à qui nous avons affaire. Il s'agit bien de cette dictature grise dont je parlais pendant les élections.
LC : Comment expliquez-vous votre mutisme face aux événements douloureux de l'Ouham et l'Ouham-Pendé, vos fiefs ?
M.Z. : Je ne suis pas resté silencieux face aux évènements dans l'Ouham et l'Ouham-Pendé puisque , dès que j'en avais été informé, j'ai saisi toutes les organisations internationales de défense des droits de l'homme pour exiger la constitution d'une commission d'enquête internationale afin de tirer toute la lumière sur ces évènements et de situer les responsabilités . Je suis également intervenu dans ce sens sur les ondes internationales telles que RFI et BBC pour attirer l'attention de la communauté nationale et internationale sur ces drames : ma démarche est toujours constante dans ce cas comme dans d'autres, sans considération du fait que les régions concernées soient l'Ouham et l'Ouham- Pendé , et je vous rappelle l'affaire SANZE pour laquelle je suis intervenu sur RFI et BBC. Je dénonce systématiquement toutes les atteintes au droits humains en RCA et je demande que justice soit faite en cas de fautes ou de crimes prouvées.
LC : Quelques militants du MLPC, du FPP et du RDC, sont en garde à vue depuis quelques semaines. Le parquet de Bangui les accuse de préparer un coup d'Etat contre le pouvoir de Bangui. Quel sentiment éprouvez-vous ?
MZ : Quand je constate que dans notre pays, nous en sommes encore et toujours à vivre dans la psychose des coups d'Etat, alors je me dis que nous ne sommes pas sortis de l'auberge. En la matière, nous en sommes toujours aux réflexes des années BOKASSA, où tout le monde soupçonnait tout le monde de complot , de coup d'Etat, d'atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat , et que sais-je encore… Le résultat de cet état de choses est la suspicion généralisée en RCA, une ambiance lourde, et un climat qui n'est pas du tout propice à la paix des cœurs.
Si des compatriotes appartenant au MLPC, au FPP ou au RDC ont commis des délits ou des crimes, mais qu'ils soient jugés dans les délais et les formes prescrits par nos lois : c'est cela l'Etat de droit , au lieu de garder à vue pendant des semaines des personnes sur la base parfois de dénonciations fantaisistes ou invérifiables. BOZIZE qui a vécu dans sa chair les affres des détentions « politiques » devait être plus que tous sensible à ces graves violations de la procédure pénale. Ne liait-on pas le SRI et la SERD au précédent régime ?
Pourquoi donc existent- t'ils encore ? Et ces polices politiques parallèles, à quoi servent-elles dans un Etat dit de droit et a fortiori dirigé par des « libérateurs »?
LC : Pensez-vous vous que le Général Bozize a les moyens nécessaires pour faire face à toutes ces rebellions armées ?
MZ : Tout d'abord, je voudrais vous dire et souligner que je suis opposé par principe à toute violence en politique, d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la finalité. Mon combat à moi, dans le cadre de mon parti le MLPC, est exclusivement politique. Il s'inscrit et s'inscrira toujours dans le cadre de la légalité républicaine parce que mon Parti et moi-même nous sommes résolument et profondément républicains et démocrates. Ce rappel est important car ma position ne souffre d'aucune ambiguïté.
Maintenant, pour en revenir à votre question, j'affirme qu'un pays a toujours un moyen imparable de faire face aux rebellions : c'est le dialogue politique. Je n'en vois pas d'autres et ce n'est ni BOZIZE ni ses lieutenants qui diront le contraire : c'est la thèse qu'ils ont toujours défendu quand ils étaient eux- mêmes en rébellion en 2002-2003 contre les institutions de l'époque. Ils disaient qu'ils se rebellaient parce que PATASSE était fermé au dialogue politique. Je suppose qu'ils ne brûleront pas aujourd'hui ce qu'ils ont adoré hier, c'est-à-dire qu'ils ne rejetteront pas aujourd'hui qu'ils sont au pouvoir ce « dialogue politique »qu'ils présentaient hier comme la mère de toutes les solutions Si non, cela signifierait qu'ils font du patassisme sans Patassé.
LC : Le Démocrate Joseph Bendounga a demandé la démission de Bozize, soutenez-vous cette démarche ?
MZ : Un parti politique de l'opposition est dans son rôle quand il critique le régime ou exige sa démission. Il n' y a rien de particulier sur ce point. En tout état de cause, je suis militant du MLPC et seules les prises de positions régulières de mon parti m'engagent.
LC : Si vous avez un conseil à donner à François Bozize, que lui diriez-vous ?
MZ: Il n'a pas besoin de mes conseils puisqu'il a un bataillon de conseillers centrafricains et étrangers. Je me rappelle seulement l'interview qu'il a donnée au journal camerounais « Mutations » en 2002 lorsqu'il était en rébellion, et dans laquelle il disait qu'il ne pouvait attendre les élections pour prendre le pouvoir parce que le pays était au bord du gouffre. Ensuite lorsqu'il a pris le pouvoir il a dit que l'on reconnaît le maçon au pied du mur. Quand je vois trois ans après, le mur de la maison centrafricain, je me demande si vraiment il est tout simplement un maçon. François BOZIZE et ses lieutenants ont beaucoup parlé depuis 2002. Lorsque je relis leur littérature, et que vois leur gestion de la RCA aujourd'hui, je lui rappelle simplement ce proverbe romain « La roche Tarpéienne est proche du Capitole »
LC : Vous avez promis rentrer «très bientôt» au pays pour « préparer l'avenir». qu'entendez-vous par « préparer l'avenir » ?
MZ: Préparer l'avenir c'est travailler avec mes camarades du MLPC et de toutes les forces vives de notre pays, les personnalités indépendantes, la société civile, les cadres, les jeunes et les femmes à la création d'une plate-forme politique nationale capable de redonner espoir aux Centrafricains. Le problème numéro un de la RCA est la corruption généralisée et très profonde de ses dirigeants, et leur « affairisme » atavique : demain se prépare donc aujourd'hui, en faisant bloc autour de leaders intègres pour construire une alternative politique digne de son nom, car la lutte sera longue et difficile, mais la victoire de la démocratie centrafricaine est certaine.